Comprendre les émotions du débutant en natation
On entend souvent dire que « la natation ça fait peur. » Oui mais pourquoi ?
Les sports sont classés selon leur niveau d’activation, c’est-à-dire selon l’état d’alerte qu’ils instaure dans le comportement du pratiquant, faisant appel à une plus grande sensibilité perceptive, une plus grande rapidité de traitement cognitif et des réponses motrices plus rapides. La natation est classée dans la deuxième catégorie (sur 5) des sports entraînant un grand niveau d’activation, après le football américain, l’haltérophilie et au même niveau que le judo ou la lutte [1]. Essayons donc de comprendre d’où viennent les émotions
De quelles émotions parle-t-on ?
Les émotions découlent de l’interprétation personnelle qui est faite de la situation. L’émotion est une donnée subjective qui entraîne des réactions tant physiologiques (augmentation de la fréquence cardiaque par exemple) que psychologiques [2]
Il existerait 6 émotions de base, irréductibles : la peur, la colère, la joie, la surprise, la colère et la tristesse
En ce qui concerne notre article, nous choisissons de nous attarder sur la peur, qui caractérise l’émotion du débutant en natation, lorsqu’il apprivoise le milieu aquatique
Quels sont les problèmes posés par le passage de la motricité du terrien à la motricité aquatique ?
Cette question revient à se demander qu’est-ce qui fait peur dans l’apprentissage de la natation ? Le passage du terrien au nageur pose plusieurs problèmes. La peur nait avec la modification de ses réflexes de terrien une fois dans l’eau. Lorsque l’on demande à un terrien de s’allonger sur l’eau, il s’ensuit une modification des sensations reçues :
- Sensations de déséquilibre au niveau de l’oreille interne (le réflexes d’origine vestibulaire a un rôle de replacement de la tête en position verticale par rapport à l’axe de gravité et de coordination des mouvements des yeux à ceux de la tête, pour assurer une fixation du regard)
- Sensations d’étirement des muscles extenseurs de la nuque (nous disposons de récepteurs articulaires placés dans la colonne cervicale et les muscles qui la mobilise qui nous indique le degré d’étirements de nos muscles et tendons)
- Perturbation des repères visuels (dans l’eau, la vue est vraiment trouble et même avec des lunettes de natation, notre système visuel est perturbé par l’effet loupe)
- Suppression des informations plantaires au profit de la perception des pressions par les membres supérieurs (les réflexes d’origine plantaire, qui fonctionne grâce à des récepteurs cutanés permettent de s’équilibrer en fonction des sensations obtenues sous les pieds)
Cet ensemble de sensations, perçu comme une « chute », provoque de manière réflexe l’extension de la nuque, une parade des bras (ils viennent en avant protégé contre une chute) et éventuellement, un replacement de la jambe sous le corps
Dans certains cas, on peut avoir à faire à un blocage affectif
Rien y fait, mon élève ne met pas un pied dans l’eau !
Les émotions peuvent être nuisibles. Dans une logique psychanalytique lacanienne, on note que la découverte d’une activité comme la natation à l’école peut générer un « blocage affectif », faisant écho des expériences passées refoulées [3]. Selon une approche neurobiologique maintenant, on s’aperçoit que la gestion des émotions est le plus souvent régie par des « processus automatiques directs et non contrôlés » [4]
Nos expériences sont associées à des « marqueurs somatiques », qui constituent une « mémoire affective incorporée » [5]. C’est-à-dire que l’état émotionnel est ancré en mémoire en lien avec l’évènement vécu. Ainsi, certaines expériences émotionnelles forte comme une chute dans une piscine par exemple peuvent constituer par suite de véritables blocages affectifs (peur de l’eau)
Quelles solutions pour résoudre une situation de blocage affectif ?
Lorsqu’il y a un blocage affectif, la prise de conscience et le raisonnement semblent relativement inefficaces pour résoudre le problème. Il convient davantage de jouer sur les aspects comportementaux et situationnels à travers une nécessaire progressivité pour résoudre les problèmes affectifs [6]
Les interventions ciblées et personnalisées où l’enseignant d’EPS prend le temps d’écouter et de comprendre son élève sont favorables à cette situation
Dans le meilleur des cas, un cycle massé, permettra des progrès plus rapide concernant les émotions de l’élève. Un cycle massé s’organise comme un stage, avec une dizaine de séances à la suite, et non pas organisées par semaines, comme le propose le cours d’EPS en classe entière
Les situations ludiques sont indispensables au déblocage d’une situation de stress [7]
Nous devons permettre l’acquisition des compétences liées au savoir nager sans pour autant que ces éléméents soient detectables par l’élève. Autrement dit, l’élève ne doit pas immerger sa tête parce que je le lui demande, mais parce que c’est nécéssaire pour la situation de jeu
S’entourer de toute l’équipe éducative ne peut être qu’un plus pour résoudre une situation de blocage. L’enseignant d'EPS, le médecin et psychologue scolaire, les maîtres nageurs présents sur place, sont autant de ressources pour l’élève
Bibliographie
[1] Oxendine, 1970
[2] Nugier et Niedenthal, « Les émotions aux commandes des cognitions », in Ria, Les émotions, 2005
[3] Montagne, « Une éducation physique de la parole : ratage et rencontre dans e gymnase à l’aune de la psychanalyse ». Thèse de doctorat en Sciences et techniques des activités physiques et sportives ; 2006
[4] Ochsner, Cognitive control of emotion, 2005
[5] Damasio, L’erreur de Descartes, 1995
[6] Ledoux, Neurobiologie de la personnalité, 2003
[7] Potdevin, Pelayo, Maillard et Kapusta, « La grande évasion. Une démarche d’enseignement du savoir nager pour les élèves en grande difficulté », in Revue EPS n°312, 2005